Amadou Toumani Touré est mort ! Le soldat de la démocratie n’est plus!
Ce grand homme qui a marqué l’histoire de l’Afrique nous a quittés. Il est mort dans la nuit du lundi 9 au mardi 10 novembre en Turquie, à l’âge de 72 ans. L’ancien président du Mali avait été admis d’urgence pour une opération au cœur à l’hôpital Le Luxembourg, qu’il a fondé avec son épouse Lobbo. Tout semblait aller bien. Il a par la suite été évacué récemment par un vol régulier en Turquie pour des raisons sanitaires.
Je lui rends hommage en revisitant le texte que j’ai écrit sur lui il y a quelques jours.
Le surnom « ATT », il le doit aux initiales de son nom. Voici un grand Homme qui mérite d’entrer par la grande porte dans l’Histoire du Mali et de l’Afrique.
En mars 1991, après des manifestations populaires violemment réprimées par le régime dictatorial de Moussa Traoré, ATT participe au putsch contre ce dernier et prend la présidence du comité de transition pour le salut du peuple.
La goutte d’eau qui va faire déborder le vase et poussera ATT a fomenté un putsch, sera la répression dans le sang du soulèvement populaire du 22 mars 1991. En mars 1991, des milliers de maliens sortent dans les rues pour exprimer leur mécontentement. L’essentiel des manifestants est composé de jeunes. L’armée ouvre le feu sur la foule ; de nombreux morts et blessés sont enregistrés. La presse internationale fait écho de ce massacre et le président Moussa Traoré décide devant la pression médiatique de s’exprimer à la télévision nationale pour calmer la contestation et présenter ses condoléances.
Son message ne suffit pas à calmer les contestataires. Dès le lendemain, la foule descend encore plus nombreuse dans les rues de Bamako et réclame le départ de Moussa Traoré et de son régime autocratique. Événement déterminant pour la suite des événements, les femmes toujours très respectées dans les traditions africaines décident de se joindre à la manifestation pour exprimer leur indignation contre l’assassinat des jeunes la veille. Sacrilège ! Les soldats montent à la charge et tirent à bout portant sur les femmes.
A partir de cet instant, le peuple décide de braver l’armée et descend de plus en plus nombreux dans les rues. L’opinion internationale a désormais les yeux rivés vers ce pays dont les manifestants sont froidement abattus par le régime autocratique en place. La répression de la manifestation aurait fait près de 200 morts.
C’est l’impasse au sommet de l’État. Un couvre-feu est décrété.
Après une énième journée de manifestation, un groupe d’officiers mené par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré se réunit au sein du conseil supérieur de salut du peuple et décide de mettre fin au massacre en renversant le régime de Moussa Traoré.
Moussa Traoré est renversé. Les maliens accueillent ce putsch avec joie. Pour eux, c’est la délivrance, c’est un coup d’État salvateur.
Amadou Toumani Touré fait cette promesse au peuple malien : « Je m’engage et j’en prends le serment devant notre peuple, devant notre jeunesse à partir dès que la situation rentrera dans l’ordre, dès qu’un président de la république sera élu par les voies démocratiques et régulières.
Que ceux qui ne veulent pas partir, laissent tomber les galons militaires et s’engagent à faire de la politique. Après l’élection d’un nouveau Président, l’armée ne se mêlera plus de politique, l’armée rejoindra ses casernes, l’armée sera la garante de la constitution, l’armée sera sous l’autorité du pouvoir public en place, l’armée sera au service du peuple malien. Un point un trait et c’est tout ».
ATT tiendra ses promesses. En tant que chef d’Etat assurant la transition démocratique, il organise la conférence nationale du 29 juillet au 12 août 1991, puis les élections législatives et présidentielles en 1992. A l’issue de ces élections, ATT remet le pouvoir au nouveau président démocratiquement élu. Le multipartisme est instauré et la démocratie malienne est prête à prendre son envol.
Amadou Toumani Touré est alors surnommé Le « Soldat de la démocratie ». Alpha Oumar Konaré, élu démocratiquement, va diriger le pays pendant dix ans. Ayant demandé et obtenu sa mise en retraite de l’armée, « le Soldat de la démocratie » revient au pouvoir en 2002 à la faveur des urnes et occupe deux mandats au terme desquels il ne tente pas de modifier la constitution pour se présenter à un troisième mandat et pour rester Ad vitam æternam chef d’Etat comme le font tant de chefs d’Etat en Afrique.
A un peu plus de deux mois d’une élection présidentielle à laquelle le président sortant ne se représente pas, un groupe de militaires d’un certain comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDR ou CNRDRE) avec à sa tête Amadou Sanogo (voir Amadou Sanogo) fomente un coup d’Etat et déclare « mettre fin au régime incompétent et désavoué de M. Amadou Toumani Touré ». C’est le coup d’Etat le plus bête de l’Histoire africain.
Le CNRDR dénonce la gestion du conflit au Nord-Mali entre l’armée et la rébellion touareg. Les putschistes réclament des armes pour combattre terroristes et rebelles dans le Nord du pays. Pour le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, ce coup d’Etat à deux mois des élections est un « revers » pour la démocratie en Afrique.
ATT est considéré comme un modèle en Afrique car il a réussi à mettre en place les bases de la démocratie malienne. L’artiste ivoirien Tiken Jah Fakoly lui a consacré une chanson intitulée « Amadou » où il rend hommage à un « Homme qui mérite de rentrer dans l’Histoire ». « Le soldat de la démocratie » est resté une référence pour tous les putschistes qui souhaitent restaurer la démocratie dans leurs pays.
L’un des responsables de la junte nigérienne qui a conduit à la restauration de la démocratie au Niger en empêchant Mamadou Tandja de s’éterniser au pouvoir en entamant une carrière de « président à vie » déclarait : « Nous ne sommes pas des Moussa Dadis Camara (Chef de la junte guinéenne, voir Dadis Camara), nous sommes des ATT »
Source : Les livres suivants
« Surnoms des Hommes et Femmes qui ont marqué l’histoire contemporaine de l’Afrique », Arol KETCHIEMEN
« Les Coups d’Etat Salvateurs en Afrique » , Arol KETCHIEMEN
Arol KETCH-10.11.2020
Fourmi Magnan égarée