MICHEL NJIENSI, le ministre qui voulait « détribaliser » le football Camerounais
Michel NJIENSI est le tout premier camerounais nommé ministre de la Jeunesse et des Sports. C’était en 1970. En effet, jusqu’en 1970, le sport n’était pas érigé au rang de ministère. Le domaine du sport relevait des prérogatives du ministre de l’éducation, de la jeunesse et de la culture.
En juin 1970, Michel NJIENSI est nommé ministre des sports. Fraîchement sorti des universités françaises, Michel NJIENSI a plusieurs idées révolutionnaires.
Il constate que les clubs de football du Cameroun ont des relents communautaires. Par exemple, Oryx est le club des autochtones de Bali. L’Oryx est né d’une fusion de deux équipes : Lumière de Bonapriso et Requin de Bali. Avant de devenir Oryx, ce club s’appelait Olympique Bellois.
Caïman Akwa Club est le club des « Akwa ». Au départ, Caïman de Douala s’appelait Lune de Douala. Le nom du club change après une défaite en finale du Championnat du Cameroun face à leur adversaire de toujours : Léopard de Douala.
Union de Douala est le club des “Bamiléké” de la ville de Douala. L’Union sportive de Douala est née vers 1955 dans le quartier New-Bell à la suite de la volonté de constituer une équipe forte qui puisse rivaliser avec les clubs des autres quartiers : Oryx, Léopard, Caïman etc. L’Union sportive de Douala naît de la fusion / union de plusieurs équipes “allogènes” du quartier New-bell et ses environs : Jeunesse Bamiléké du Président Jean Raymond, vent du nord du président Samuel Kouam, Sawaba du président Halidou etc.
La situation est la même dans les autres villes du pays avec par exemple à Yaoundé Tonnerre et Canon, des clubs autochtones ewondos/betis. Dans l’ouest Cameroun, on a Racing le club des Feussab , Panthère (Nzui manto) des Bangangtés, dans le sud on a Epervier Sportif Obam Bulu, le club des bulus etc.
Pour le nouveau ministre Michel Njiensi ces clubs aux relents communautaires constituent une entrave à la construction de l’Etat nation. Il décide de mettre fin à cela; de dissoudre ces clubs et de procéder à la création de nouveaux clubs qui devraient tout simplement porter les noms de villes. Par exemple à Douala, on aurait Douala I , Douala II , Douala III etc et à Yaoundé, Yaoundé I Yaoundé II Yaoundé III etc. Idem pour les autres villes du pays.
Michel Njiensi a un argument de poids; en Guinée de Sékou Touré des clubs comme Hafia et Horoya ont été créés par l’Etat guinéen sur la base des arrondissements des principales villes du pays.
Malgré les tentatives de dissuasion de ses collaborateurs et des membres de la FECAFOOT ( dirigé par René Essomba); Michel NJIENSI n’abandonne pas son projet, il décide carrément de constituer lui-même les clubs sans aucune base claire en mélangeant même les effectifs des différentes communautés. La liste des nouveaux clubs constitués est publiée dans la presse.
Cette annonce fait l’effet d’un séisme et soulève la fureur du mouvement sportif camerounais et même des pouvoirs traditionnels. Le championnat national est interrompu dans toutes ses divisions. Le personnel du ministère des sports est agressé à travers le pays. Le pays est au bord de l’émeute.
La réforme de Michel NJIENSI survient alors que le Président de la République Ahmadou Ahidjo est à l’extérieur du pays, en visite de travail au Nigeria voisin.
Ayant appris le retour du président Ahidjo de son voyage au Nigeria par l’aéroport de Douala, la foule décide de prendre d’assaut l’aéroport pour exprimer son mécontentement.
On peut lire sur les pancartes : « A bas Njiensi ! » « Njiensi démission ! », « Vive Oryx Jemea ! », « Caiman Akwa Yaya ! ».
La situation est telle que le Président Ahidjo ordonne à son pilote d’atterrir plutôt à Yaoundé afin d’éviter la foule de Douala.
A son arrivée à Yaoundé, le Président Ahidjo demande à rencontrer une délégation de footballeurs.
Le footballeur Mbappé Léppé et le maire André Fouda étaient les seules personnes qui pouvaient rencontrer Ahidjo sans autorisation quand ils le souhaitaient.
Dirigée par le Maréchal Mbappé Léppé, une délégation de footballeurs parmi lesquels Mbette Isaac sont reçus par le Président Ahidjo. Ils expriment leur opposition au projet initié par le Ministre des Sports.
Après leur rencontre avec Ahidjo, un décret du président Ahmadou Ahidjo lu au journal de 13h annonce le limogeage du ministre Michel Njensi. Il est remplacé par François-Xavier Ngoubeyou alors ministre de l’Inspection générale de l’Etat.
Pourtant brillant et promis à un très bel avenir; on n’entendra plus jamais de Michel Njiensi. Sa carrière a connu un arrêt brusque. Il est mort dans l’anonymat, l’indifférence et l’oubli.
L’oubli est la ruse du diable !
Dieudonné ENOH raconte de manière détaillée cette histoire dans son livre : Chroniques inédites de l’époque d’Ahidjo.
La terre est sale ! Si è ne mvit ! Ngo Badge !
Arol KETCH – 17.06.2024
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