Aujourd’hui, c’est la journée de l’enfant africain. Je vais en profiter pour vous raconter un fait divers qui a marqué l’année 1974 au Cameroun. Une histoire triste mêlant des enfants.
Un fait divers sordide à l’issue heureuse. C’est l’histoire d’un aveugle qui s’adonnait au rapt des enfants. Un fait divers qui pourrait bien être adapté au cinéma pour véhiculer un certain nombre de messages et d’enseignements.
Missé Guillaume (14 ans), Priso Jacques (13 ans) sont originaires d’Abo dans le département du Moungo au Cameroun. Ce sont les enfants de M. Ebongué Samuel et de Mme Moutoume Hélène. Une famille sans histoire domiciliée au quartier 6 à Mbanga.
Ce jour-là, alors qu’ils revenaient de la plantation familiale, les enfants sont abordés par un individu mystérieux qui leur demande de l’aider à récolter des bananes. Les enfants polis et serviables acceptent d’offrir leur aide à cet inconnu et embarquent dans la voiture de ce dernier. Ils ne savent pas alors qu’ils viennent de se jeter dans la gueule du loup.
Cet individu mystérieux les conduit dans la ville de Douala. A Douala, il les confie à un aveugle. Les deux enfants seront désormais la propriété de cet aveugle. Ils ne reverront plus jamais leur ravisseur. Ils comprennent à présent qu’ils ont été victimes d’un enlèvement.
Nous sommes à une période où de nombreux cas de kidnapping d’enfants sont enregistrés dans l’arrière pays au Cameroun. Généralement, ces enfants sont kidnappés pour servir de domestiques dans de grandes villes du pays. Il y a même eu des cas d’enfants qui bien qu’ayant réussi à s’évader, n’ont jamais pu retrouver leur famille. Ils deviennent alors des enfants de la rue, des “Nanga Boko”.
Désormais prisonnier de cet aveugle, Misse Guillaume et Priso Jacques n’iront plus à l’école. Ils ont pour mission de servir de guide à leur nouveau “seigneur” ousmanou et de faire la quête pour lui dans la rue. Leurs vêtements leur sont ôtés et ont leur fait endosser de vieux boubous en lambeaux. Histoire de leur donner l’apparence d’enfants abandonnés; question de susciter la pitié chez ceux à qui ils demanderont de l’argent.
Quelque temps après, l’aveugle voyage avec Missé. Priso quant à lui est laissé aux bons soins de Yaya; la sœur d’Ousmamnou.
Le pauvre Missé arpente plusieurs villes du Cameroun pour mendier aux côtés d’Ousmanou . Une existence d’esclaves qui le mène à Yaoundé, Obala, Ngaoundéré et Ngaoundal. A Obala, il va essayer à plusieurs reprises de s’évader afin d’aller dénoncer son ravisseur à la police. Malheureusement, toutes ses tentatives seront vaines.
Malgré sa cécité, son maître est très astucieux et prend toutes les dispositions pour contrecarrer ses évasions. Toute tentative d’évasion est sévèrement sanctionnée par une douloureuse séance de châtiments corporels. Dans leur périple à travers le Cameroun, le cynique aveugle ne payait pas le transport par train pour le petit garçon; lui-même en était dispensé pour incapacité physique. Ngaoundal sera le point final de leur randonnée à travers le pays.
De retour à Douala, Missé retrouve son frère Priso et lui raconte fidèlement ce qu’il a subi. Les deux enfants sombrent dans une tristesse indicible. A quoi ça sert de vivre si on est loin de ceux qu’on aime ?
Ils pensent même au pire. Ils ont quelques fois tenté de raconter leur histoire aux passants dans les rues mais personne ne prit la peine de les écouter; ils étaient chassés à chaque fois par des passants qui craignaient de se faire agresser par ces garnements.
Ils recommencent à mendier ensemble dans la ville de Douala pour reverser l’argent récolté à leur “seigneur” et à sa famille. Un mardi soir, alors que Missé conduisait Ousmanou (l’aveugle), Priso quant à lui faisait la manche du côté de l’hôtel “Beauséjour”.
Priso va apercevoir un couple qui prenait un apéritif; il s’approche du couple pour mendier et demander de l’argent. Alors que monsieur Nje-Nje Charles Bernard s’apprêtait à jeter une pièce d’argent dans la main du petit mendiant, sa compagne s’y oppose avec véhémence.
Évoquant le cas de ces petits délinquants qui fuient leur famille pour flâner et vivre dans la rue. Elle assène une série de propos violents au jeune garçon. Touché au plus profond de lui-même et meurtri, le jeune garçon fond en larmes. Il se rappelait alors la vie heureuse qu’il menait auparavant avec sa famille en Mbanga. Il pensait à ses parents qu’il n’avait plus vu depuis longtemps.
De son visage, se dégageait une indicible tristesse. Ses larmes laissaient transparaître l’expression d’une profonde douleur. Tout ceci ne manquera pas de retenir l’attention de monsieur Nje Nje. Saisi d’émotion au vu de la tristesse du jeune garçon; il va aller à sa rencontre et va l’interroger. C’est alors qu’il va découvrir l’horreur. En pleurs, Priso va lui raconter toute la triste histoire. Il va préciser que son frère aîné Missé n’est pas loin de là; en train de conduire leur “seigneur”. L’aveugle qui les maintient captifs.
Malgré les réticences de sa compagne, monsieur Nje Nje qui a déjà eu vent des histoires racontant l’enlèvement d’enfants est décidé à aider ce jeune garçon.
Le brave Nje Nje prend Priso à bord de son véhicule. A force de sillonner dans le coin, ils finissent par retrouver Missé et l’aveugle à Fregate-Bar. Nje Nje aborde l’aveugle pour l’interroger. Pris de panique le ravisseur va lui expliquer que les deux enfants sont originaires de Mbanga et qu’il était en train de leur acheter des habits avant de les ramener à leurs parents. Nje Nje n’est pas convaincu par les réponses de l’aveugle; il est déterminé à récupérer les deux enfants.
Voyant l’étau se resserrer autour de lui, l’aveugle demande à être déposé à la mosquée de New-Bell. Nje Nje s’exécute et l’y conduit. Par la suite, ce brave homme conduit les deux enfants au commissariat du 3ème arrondissement, ensuite à la permanence du commissariat central. Alors qu’il est 23h environ, notre brave samaritain confie les deux enfants à sa cousine afin qu’elle leur fasse une toilette, leur enlève les haillons et leur donne des vêtements propres. Il ne manquera pas de leur offrir un repas copieux.
Les fins limiers de la police vont prendre le relai et vont retrouver les parents de Missé et Priso. L’émotion sera à son comble le jour des retrouvailles entre les enfants et leurs parents.
Les deux enfants révèlent que le produit de leur quête journalière était récupéré par leur maître qui le versait dans une cotisation. Ils affirment que parmi leurs compagnons d’infortune, figuraient d’autres enfants, enlevés dans les pays voisins, notamment le Nigeria et qui servent de guide, d’esclaves à ces aveugles que l’on voit traîner devant les grands magasins de nos grandes villes.
Cette histoire a marqué le Cameroun au milieu des années 70; elle révèle alors la face cachée d’une nouvelle traite d’enfants dont la rumeur jusqu’ici circulait de bouche à oreille.
Alors ne portons pas de jugement actif sur les mendiants que nous croisons dans nos rues; leurs histoires sont plus complexes que ce que nous pouvons imaginer.
J’ai retrouvé les détails de cette histoire dans l’édition de Cameroon Tribune du jeudi 19 décembre 1974.
Je lance une bouteille à la mer. Si Missé Guillaume, Priso Jacques ou leurs proches tombent sur cette histoire, je leur prie de me contacter. Je suis très intéressé de savoir ce qu’ils sont devenus aujourd’hui. S’ils sont encore en vie, ils devraient avoir respectivement 62 ans et 61 ans.
Arol KETCH – 16.06.2022
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