En 1960, Modibo Keita devient le tout premier Président de la République du Mali. Nous sommes en pleine période de guerre froide. Modibo Keita est un socialiste, panafricaniste et un tiers-mondiste convaincu. Il est très proche de Cuba et de son leader Fidel Castro. Modibo Keita a à cœur de valoriser l’immense richesse culturelle de son pays. Il multiplie des projets dans ce sens-là en collaboration avec les pays amis. Cuba est un pays ami qui séduit le monde entier grâce à sa musique.
Modibo Keita décide alors de lancer une sélection dans le but de recruter de jeunes maliens de toutes les Régions du Mali dans l’optique d’envoyer ceux-ci à Cuba apprendre la musique afin de rentrer enseigner la musique au Mali. La sélection est faite ; 10 jeunes maliens issus de 6 régions différentes sont sélectionnés et envoyés à Cuba.
En 1964, les heureux élus débarquent à la Havane à Cuba, ils sont reçus en Cadillac noir comme de hautes personnalités. Ils sont les tous premiers étudiants africains de Cuba. Cuba décide de prendre en charge l’intégralité de leur formation ; ils seront logés, nourris, blanchis aux frais de l’Etat Cubain. Lorsque les jeunes maliens arrivent à Cuba, ils sont logés dans une villa luxueuse. Fidel Castro et tout son staff à l’intérieur duquel se trouve un certain Ernesto Che Guevara, viendront en personne rencontrer les jeunes étudiants maliens pour s’assurer qu’ils sont reçus dans de bonnes conditions et les inciter à travailler très dur afin d’accumuler le maximum de connaissances et rentrer les mettre au service du Mali. C’est Ernesto Che Guevara qui a d’ailleurs servi d’interprète aux jeunes étudiants maliens lors de leur rencontre avec Fidel Castro.
Ils intègrent tous, le conservatoire Alejandro Garcia, où ils ont pour professeurs les plus grands maestros du pays, dont Rafaël Lay, le prince de l’Aragon. Ils sont très bien formés et jouent de plusieurs instruments (Flûtes, violons, piano, guitare).
Notons que Cuba offrait aussi des bourses pour former des médecins, des agronomes, des ingénieurs africains etc.
Animés par un patriotisme et un désir d’accumuler le maximum de connaissances, les jeunes maliens vont se montrer extrêmement doués et vont finir pas constituer un orchestre à Cuba qu’ils vont baptiser « Las Maravillas de Mali », ce qui signifie « Les merveilles du Mali ». Cet orchestre mixe allègrement les rythmes cubains et africains et délivre une musique métissée terriblement dansante.
Las Maravillas de Mali va conquérir tout Cuba. Ils sont invités dans les grandes émissions à télévision et à la radio ; ils multiplient les prestations dans Cuba ; ils deviennent de véritables vedettes ; les jeunes et jolies cubaines tombent sous leur charme. Le groupe décide d’enregistrer un album à Cuba, le titre phare de cet album « Rendez-vous ce soir chez Fatimata » fera un tabac. La réputation de Las Maravillas de Mali va très vite dépasser le Mali et Cuba, pour embraser toute l’Afrique ainsi que l’Amérique. Ils vont même jouer devant Fidel Castro et le Che.
Le 19 novembre 1968, Moussa Traoré renverse le Président socialiste Modibo Keïta. Moussa Traoré le nouvel homme fort du Mali n’éprouve pas un amour particulier pour la musique et la culture. Il demande aussitôt aux jeunes maliens envoyés à Cuba étudier la musique de rentrer immédiatement au Pays. Certains parmi eux qui avaient commencé à faire leur vie à Cuba, rentreront ; laissant femmes et enfants à Cuba. L’épouse de l’un d’entre eux va carrément décider de suivre son mari au Mali et n’est plus jamais retourné à Cuba même à la mort de son époux. De retour au bercail, les nouvelles autorités les regardent d’un œil défiant. On les suspecte d’être des révolutionnaires revenus avec des idées de Fidel Castro.
Le groupe va se dissoudre. Et ses membres vont emprunter des trajectoires différentes. Certains vont enseigner la musique, d’autres vont arrêter la musique et l’un d’eux Boncana Maïga va aller tenter l’aventure à l’étranger. Alors qu’il était invité à la télévision ivoirienne, il va jouer de la flute traversière. Son jeu excellent va conquérir le public ivoirien à tel point qu’à sa sortie des studios, les officiels ivoiriens vont lui proposer de s’occuper conservatoire ivoirien ; il est aussi nommé professeur de musique à l’Institut National des Arts. Il était plus payé qu’un ministre malien. Séduit par l’accueil qui lui est réservé en Côte d’ivoire, Boncana Maïga décide d’aller au Mali pour demander à ses amis de Las Maravillas de Mali de le rejoindre en Côte d’Ivoire pour avoir un avenir meilleur.
Ceux-ci vont décliner l’offre de leur ami et vont décider de rester par patriotisme dans leur pays. Au Mali, ils vont connaître l’injustice, une vie plutôt difficile et les différents membres du groupe vont décéder l’un après l’autre dans l’indifférence générale. Tandis que le chef d’orchestre Boncana Maïga qui avait eu le courage de tenter l’aventure va connaitre le succès. Il forme et dirige pendant 14 ans l’orchestre de la Radio Télévision Ivoirienne (RTI).
En 1999, alors qu’il était en Vacances au Mali pour les fêtes de fin d’année, le musicien et documentariste Richard Minier va tomber sous le charme d’un musicien dans un bar de Bamako, un certain Dramane Coulibaly. Séduit par le style de ce musicien qui lui fait penser à un cubain, il va aller à la rencontre de celui-ci. Ce dernier va lui révéler qu’il est un ancien membre de Las Maravillas de Mali et va raconter brièvement la belle aventure de cet orchestre. Conquis par cette histoire, Richard Minier a désormais un seul projet en tête ; réussir à reconstituer l’orchestre Las Marvillas avec les membres du groupe encore vivants afin de les faire enregistrer un dernier album. Il faut faire vite avant que tous les membres du groupe ne décèdent.
Avec sa caméra, il va suivre les derniers membres du groupe encore vivants (Dramane Coulibaly, Bah Tapo, Aliou Traoré, Mustapha Sakho, Boncana Maïga) pendant 18 années au cours desquelles il les verra mourir les uns après les autres sans avoir réussir à atteindre son objectif de reformer Las Maravillas de Mali. En 2016, il ne restait plus qu’un seul membre vivant de Las Maravillas de Mali, le maestro Boncana Maïga.
Boncana Maïga et Richard Minier vont aller à Cuba rencontrer les étudiants et musiciens que les membres de Las Maravillas de Mali avaient côtoyé dans les années 1960 lorsqu’ils étaient à Cuba. Les retrouvailles après près de 50 ans furent émouvantes. Les amis cubains n’avaient jamais oublié ces africains qui les avaient touchés par leur humanité et leur immense talent musical. Ceux-ci se rappelaient encore des visages et des noms de leurs amis maliens ; les cubains vont fondre en larmes lorsqu’ils vont apprendre que leurs amis sont tous morts et qu’il ne reste plus qu’un survivant.
Boncana Maïga va même rencontrer à Cuba des enfants laissés par quelques membres décédés du groupe. Boncana Maïga va constituer une équipe sur place et ensemble, ils vont enregistrer un dernier album : « Africa Mia », une réédition de l’unique album du groupe produit en 1967. Parallèlement à cet ultime retour à la Havane, a lieu l’enregistrement à Bamako d’une nouvelle version de « Rendez-vous Chez Fatimata » avec le chanteur guinéen Mory Kanté.
En plus de l’album, Richard Minier a réalisé un documentaire de 90 minutes qui raconte cette fabuleuse histoire commencée au temps des échanges entre l’Afrique et Cuba. C’est ce documentaire qui m’a inspiré pour la rédaction de ce texte.
Arol KETCH – 15.12.2021
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